Interview de Catherine Cerisey (2/2) – Patients partenaires : co-construire la recherche et protéger les données de santé

Table des matières

Dans la première partie de cette interview, Catherine Cerisey partageait son parcours de patiente experte et sa vision de l’engagement des patients dans le système de santé. 

Dans cette seconde partie, elle aborde les enjeux concrets de la co-construction des projets de recherche, l’utilisation des données de santé, et les leviers nécessaires pour faire progresser la reconnaissance des patients experts. 

 

Pourquoi est-il, essentiel que les patients soient associés dès les premières étapes des projets de recherche clinique ? 

Il est vraiment crucial d’intégrer les patients dès le départ, y compris dans la phase même du questionnement de la recherche. Par exemple, dans le cas d’un médicament ou d’un dispositif médical : des chercheurs pensent qu’il serait utile de créer un nouveau dispositif et ils travaillent dessus. Au mieux, ils sollicitent les associations pour tester le produit une fois qu’il est développé. 

Mais souvent, ce dispositif n’est pas adopté par les patients car ils n’ont pas été associés à sa création. Pour qu’un dispositif soit réellement utilisé, il faut le co-construire avec les patients. 

Dans la recherche clinique médicamenteuse, les laboratoires conçoivent des protocoles d’essais souvent très complexes : scanner, prises de sang fréquentes, etc. Qui va accepter ça ? Naturellement, cela rend le recrutement difficile. 

Bien sûr, il faut encadrer la recherche et protéger les patients, mais pourquoi ne pas penser ces essais avec eux ? Tout part d’une question simple : de quoi ont-ils besoin ? 

Lors d’une table ronde, une patiente atteinte d’un diabète de type 1 disait à propos d’un dispositif qui me paraissait être une grande avancée : «il est trop gros, je ne le porte pas. Il me stigmatise à la plage par exemple, donc je l’enlève ». Voilà qui aurait pu être évité si les patients avaient été intégrés dès la conception. 

Associer les patients, ce n’est pas juste valider un projet une fois terminé : c’est tester, ajuster, et parfois revenir en arrière. Impliquer les patients dans la recherche clinique est une évidence. C’est ce qui permettra de mieux recruter, de renforcer l’adhésion thérapeutique et d’améliorer la qualité des soins. 

  

Qu’apporte la recherche clinique en ville en tant que patiente et en tant qu’experte ? 

Les patients vivent et évoluent en ville : c’est leur premier recours. Bien sûr, la recherche clinique a besoin du milieu hospitalier, notamment pour certaines spécialités, mais les essais ne peuvent pas avancer ni être améliorés sans le retour direct des patients. 

Il ne devrait jamais y avoir de restrictions à travailler avec les patients, car ce sont eux les acteurs et les utilisateurs finaux des innovations médicales. Dans aucune autre industrie on ne conçoit sans la collaboration directe des utilisateurs finaux, et pourtant, en santé, un certain paternalisme persiste encore. 

Souvent, la santé se fait via les médecins qui interprètent ce que vivent et pensent les patients. Pourtant, même si le patient souffre, il garde pleinement ses capacités mentales et son raisonnement. 

Travailler avec les patients demande certes d’être attentif à leurs fragilités, mais en 2025, notre industrie doit absolument les intégrer comme partenaires à part entière. Cela ne peut qu’être bénéfique pour tous. 

 

Comment avez-vous vu évoluer la place des patients ?  

La place des patients a beaucoup évolué, avec un fort recul pendant la période de la Covid. On est passé d’une approche militante, avec des patients-experts porteurs d’une vision engagée, à un modèle de partenariat, le modèle de Montréal, inspiré du Québec, plus largement accepté par les professionnels. 

Ce modèle de partenariat gomme l’opposition entre professionnels et patients. Cependant, il ne peut pas être simplement copié en France, où l’histoire du militantisme et de la démocratie en santé est très forte, avec un tissu associatif très développé, ce qui est moins le cas au Québec. 

Pour avancer, il faut réussir à intégrer ce modèle de partenariat sans effacer le militantisme, mais en coordonnant les deux. Sinon, on risque de perdre des acquis essentiels. 

Parmi ces acquis, on peut citer : 

  • La loi Kouchner, il y a 23 ans, qui a posé les droits des patients 
  • La loi HPST de 2009, qui impose la représentation des usagers dans les hôpitaux 
  • Les différentes lois sur la fin de vie 
  • La création de France Assos Santé, une institution subventionnée qui confirme que la voix des patients doit être entendue 
  • La loi Ma Santé 2022, qui inclut la possibilité de participation des patients à la formation des professionnels de santé 

Les patients partenaires d’aujourd’hui ne doivent jamais oublier les combats d’hier : il faut que ces deux dynamiques coexistent et s’enrichissent mutuellement. 

 

Quelle place pour les patients dans la réflexion autour de l’utilisation secondaires des données de santé ?  

Tous les patients savent que les données de santé sont extrêmement sensibles. J’ai du mal avec le terme « anonymisées » car cela implique qu’elles ne l’étaient pas au départ. Je préfèrerais que l’on récolte des « données anonymes ». 

Le vrai enjeu, c’est le consentement. Il ne doit jamais être automatique. Les patients sont souvent prêts à partager leurs données pour faire avancer la recherche, mais pas à ce qu’elles soient réutilisées indéfiniment, sans leur accord explicite. 

J’ai fait une recherche génétique suite à mon cancer du sein. Il fallait que je donne mon consentement. On m’a présenté un document que la plupart des gens auraient signé sans lire, pour accepter que mes données soient utilisées pour étudier les éventuelles mutations me prédisposant à un cancer du sein, mais aussi tous les autres cancers. J’ai dit non sur ce dernier point. Dans dix ans, si on me découvre une mutation liée au cancer du pancréas, une maladie presque incurable, je ne veux pas le savoir car je ne pourrai pas agir dessus ! Le consentement ne peut pas être valable à vie, il doit être renouvelé à chaque nouvelle recherche, avec la possibilité de revenir sur sa décision à tout moment. 

C’est là qu’intervient le problème de l’anonymisation : une fois les données anonymisées, il est impossible de revenir en arrière. 

La CNIL a encore beaucoup à faire, surtout face aux enjeux de l’IA. Les règles actuelles sont dépassées. 

Paradoxalement, beaucoup de patients partagent librement leurs données personnelles sur les réseaux sociaux, sans crainte. Cette dichotomie est frappante !  

Toutes ces données sont un véritable trésor pour la recherche. Des patients chercheurs peuvent jouer un rôle clé pour garantir la protection des données tout en permettant à la recherche de progresser. 

 

Notre board chez stane évolue pour devenir un comité éthique. Comment allez-vous nous accompagner ? 

Pour moi, c’est avant tout une question d’éthique. Un vrai sujet d’éthique, avec aussi un rôle de lanceur d’alerte : savoir dire « Attention, là, il ne faut pas faire ça ».  

Je ne suis pas juriste, mais dans toutes mes activités, notamment au sein d’un comité éthique, je sais repérer les points sensibles, ceux qui risquent de poser problème. 

C’est pour cela que je trouve essentiel qu’il y ait un patient au board, et pas seulement moi, peut-être quelqu’un de plus spécialisé sur les données de santé. Ce rôle est fondamentalement éthique : il s’agit de protéger les données et, surtout, les patients. 

 

Quel message aimeriez-vous faire passer ?

En 2025, on ne peut plus concevoir un système de santé sans la voix des patients. Elle est indispensable, de la recherche aux soins, en passant par la médecine de ville, l’hôpital et la e-santé. 

Dans un système sous tension, ignorer la parole des patients, c’est se priver d’une ressource essentielle – et pourtant encore largement sous-exploitée. 

Individuellement, il y a une injonction à ce que les patients deviennent plus autonomes, notamment avec les sorties d’hôpital précoces pour soulager un système hospitalier exsangue. Or, tous n’ont pas la capacité de le faire. Il faut l’entendre et co-construire un nouveau modèle avec les associations et les patients experts qui portent la voix de tous afin de ne laisser personne sur le bord de la route.  

Collectivement, leur rôle est tout aussi crucial : dans la recherche, la formation, l’éducation à la santé, ils ont une vraie place à prendre. 

Les patients sont une ressource précieuse ! Quand je parle de ressource, ce n’est pas seulement du bénévolat. C’est important de le souligner : tout travail mérite salaire. Un patient chercheur doit être rémunéré car ce n’est pas une relation de soin, c’est un engagement professionnel. 

 

Est-ce qu’il y a beaucoup aujourd’hui en France de patients experts ?

Il existe aujourd’hui de nombreux « patients partenaires » — un terme dans lequel je ne me reconnais pas totalement d’ailleurs — qui veulent s’investir auprès des hôpitaux, associations, universités ou laboratoires. 

Mais le principal frein vient du système lui-même et des professionnels de santé. La formation ou les diplômes n’ont pas vraiment réglé le problème : le nombre de patients partenaires formés ou pas reste faible. 

Les offres demandent souvent une disponibilité d’un jour par semaine, incompatible avec la réalité de beaucoup. En plus, travailler peut faire perdre des droits sociaux (indemnités, aides). 

La rémunération est essentielle, mais elle ne doit pas entraîner la perte des droits sociaux, il faut aussi pouvoir accéder à des postes stables et pérennes. 

Cela dit, certains patients ont déjà des postes valorisants et intéressants ! 

 

 

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L’engagement des patients experts, tel que porté par Catherine Cerisey, montre combien leur intégration dans la recherche clinique et la gouvernance des données est indispensable pour construire un système de santé plus éthique, transparent et centré sur les vrais besoins.  

Chez stane, nous sommes convaincus que la co-construction avec les patients est la clé pour faire évoluer la médecine de ville vers une innovation plus humaine et partagée !

Merci Catherine pour votre témoignage !  

 

Interview Partie 1 à retrouver ici : De l’expérience à l’expertise : le parcours d’une patiente engagée

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